Les actes de pédophilie font partie des crimes les plus odieux qui puissent se commettre. Il est normal que la société soit extrêmement vigilante pour prévenir, réprimer et traiter les violences de ce type.

Mais la vigilance n'est pas l'emportement et la fermeté n'est pas l'injustice. Il ne faudrait pas que, au nom d'un juste combat, on pratique le pire : l'accusation sans preuve, le bannissement d'un homme à partir d'allégations fausses. Quand la société prend trop tardivement conscience d'un problème et tente de rattraper le temps perdu, le risque est grand de voir des erreurs judiciaires se produire.

Le 18 mars 1998, après seulement deux jours de procès, Antoine Soriano Mor a été condamné à dix ans de prison ferme et 160.000 francs de dommages et intérêts pour " viol sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité - agressions sexuelles " . Antoine Soriano Mor a toujours nié les faits. Les accusations viennent de l'enfant de son ancienne compagne, Oliver, dont Antoine Soriano Mor s'était occupé pendant 10 ans.

Il y a là une parole contre une autre. Mais, comme le montre le dossier, certaines circonstances peuvent expliquer le comportement d'Oliver. De plus, lorsque deux paroles se confrontent, le seul moyen de juger est de regarder si ces paroles sont fiables et invariables. Or, à plusieurs reprises, comme nous allons le voir, les propos d'Oliver ont évolué au cours de l'affaire.

Ce dossier se propose de présenter l'historique des faits et, rapidement, le rôle de chacune des personnes principales impliquées dans l'affaire. Il se propose surtout de mettre en évidence les partis pris, les ambiguïtés et les contradictions, certains mécanismes qui ont rendu possible un tel verdict. Il va faire valoir, en particulier :

que la présomption d'innocence n'a pas joué dans cette affaire
que l'instruction n'a pu établir la preuve des accusations
que l'accusation a reposé uniquement sur les dires variables et contradictoires du plaignant et sur la parole de certains psychiatres représentant un courant minoritaire et discuté.

Pour ces raisons, Antoine Soriano Mor ne doit pas seulement bénéficier du doute qui, normalement, profite à tout accusé mais aussi de la présomption de vérité qui va à la parole invariable contre la parole changeante ou contradictoire.

Ce dossier émane de l'association ALAS (Association pour la Libération d'Antoine Soriano ) constituée peu après le procès par les amis d'Antoine Soriano Mor et rejointe par les personnes qui ne connaissent pas Antoine Soriano Mor mais ont été convaincues par les éléments qui suivent.






Les mauvais traitements infligés aux enfants, l'inceste et autres sévices sexuels sont des expériences réelles dont on garde généralement le secret mais qui laissent des séquelles profondes sur la psyché humaine, le conscient et l'inconscient. Cela étant, la mémoire humaine se reconstruit sans cesse pour intégrer non seulement les expériences passées, mais aussi les désirs et les contraintes du temps présent - ainsi que les promesses de l 'avenir; La quête opiniâtre du trauma supposée oublié, par le biais de l'inconscient, semble donc vouée à l'échec. Le passé historique n'est qu'un fil du tissu narratif qui émerge en psychothérapie. Lorsque des cliniciens adhèrent, sans circonspection aucune, aux récits thérapeutiques qui leur sont faits, " comme si " ces derniers reflétaient obligatoirement la réalité historique. La quête du trauma psychologique engendre inévitablement des cataclysmes sociologiques. Avec la projection dans la société des séduisantes abominations de l'inconscient, l'atmosphère confessionnelle du milieu clinique devient rapidement l'antichambre de l'inquisition .

Sherrill Mulhern - A la recherche du trauma perdu - Chimères; Hiver 1992-93; p. 53 à 85




Oliver Bauer, né en 1974, est le fils de Juana Ruiz et de Gerhard Bauer. Il vit avec ses parents jusqu'à leur séparation en 1977 : il alors 3 ans et a connu l'expérience de la vie communautaire.
Il vit seul avec sa mère jusqu'à l'âge de 9 ans (1983).
En septembre 1983, sa mère et Antoine Soriano Mor décident de vivre ensemble. Antoine Soriano Mor a vingt-six ans, Juana Ruiz, trente-trois ans et Oliver Bauer son fils neuf ans.
En 1989, Oliver Bauer, qui a quinze ans, rentre au Lycée Molière. C'est à partir de ce moment qu'OliverBauer devient violent avec sa mère. Celle-ci et Antoine Soriano Mor s'inquiètent car Oliver a décidé de maigrir et s'alimente mal. Mais les médecins consultés ne considèrent pas son état inquiétant.
En 1991, à l'âge de dix-sept ans, Oliver Bauer dit à sa mère qu'entre ses neuf et onze ans, Antoine Soriano Mor aurait pratiqué sur lui des attouchements sexuels lors de bains pris en commun. Antoine Soriano Mor et Juana Ruiz décident alors de consulter un psychiatre. A. Soriano accompagne OliverBauer chez le docteur Cremniter, qui les reçoit ensemble et n' est alerté par aucun indice. Après quelques séances, Oliver Bauer refuse de continuer les visites.
La situation familiale se dégrade et, en 1993, Oliver Bauer va vivre à Uzès chez son père, Gerhard Bauer, qu'il ne voyait jusqu'ici que lors des vacances scolaires. Après lui avoir raconté ce qu'il aurait subi, il consulte une psychologue, Madame Adda, et raconte sa version des faits. A cette date, il est pris en charge par des psychothérapeutes et des psychiatres qui seront ses conseils et ses témoins lors du procès.
Il passe environ un an avec son père. Celui-ci ne pouvant assumer la charge de son fils, Oliver Bauer revient à Paris. Il va vivre alors chez les parents d'Ulisse Gnesda, un ancien camarade de classe. Il refuse depuis lors de voir sa mère.
En mai 1993, Antoine Soriano Mor se sépare de J.Ruiz.
Antoine Soriano Mor se marie en avril 1994 avec Jan Landess.


I. PLAINTES ET MISES EN EXAMEN

Le 8 juillet 1993, le fils de son ancienne compagne dépose une première plainte pour viol contre Antoine Soriano Mor auprès du Procureur de la République, laquelle reste sans suite.
Le 20 septembre 1993, une demande d'aide juridictionnelle est déposée par le plaignant; le 12 novembre 1993, une seconde plainte est déposée auprès du Tribunal de grande instance de Paris avec constitution de partie civile. Les chefs d'accusation sont : viol et attentat à la pudeur.
Le 2 février 1994, la mère du plaignant se constitue à son tour partie civile, mais sa constitution est jugée irrecevable, son fils étant majeur.

Le 17 janvier 1994, une commission rogatoire est délivrée par la Juge d'instruction, Madame Crépin Mauries, auprès de la Brigade des mineurs de Paris, aux fins d' entendre Antoine Soriano Mor et, en qualité de témoin, Ulisse Gnesda, ami d'Oliver Bauer,.

Le 17 mai 1994, ce dernier est mis en examen pour viol et agressions sexuelles sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité.
Le 13 juin 1994, la mère du plaignant est, à son tour, mise en examen pour non dénonciation de crime sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité.

Le 21 juillet 1994, un mandat de dépôt est délivré contre Antoine Soriano Mor, suite à sa première audition par la juge d'instruction. Il est incarcéré le soir même à la Maison d'arrêt de la Santé. Il sera mis en liberté sous contrôle judiciaire par la Chambre d'accusation le 9 août 1994.

Le 7 février 1995, l'association "Enfance et Partage" se porte partie civile.

Le 24 août 1995, fin de l'instruction.

Le 14 août 1996, le Procureur de la République inculpe Antoine Soriano Mor et le renvoie devant les Assises. Juana Ruiz bénéficie d'un non lieu.

Il est à noter que, dès les premières accusations par OliverBauer et dès sa première audition par la police judiciaire, Antoine Soriano Mor nie les faits qui sont allégués contre lui. Il niera jusqu'à la fin du procès.



II. L'EXPOSE DES FAITS SELON OLIVER BAUER.

Lors de la plainte du 8 juillet 1993, à l'âge de 19 ans, Oliver Bauer accuse Antoine Soriano Mor de sévices sexuels qu'il aurait subis entre l'âge de 9 ans et 11ans, lors de bains en commun, alors qu'ils vivaient sous le même toit avec Juana Ruiz. Il l'accuse également d'un viol lorsqu'il avait onze ans, pendant une hospitalisation de sa mère.

Il explique qu'ensuite, de 11 à 15 ans, il ne s'est rien passé parce qu'il s'y est refusé.

Il mentionne ensuite un massage avec masturbation lorsqu'il avait quinze ans.

Il dit aussi que, suite à ces agressions, il serait devenu à partir de seize ans anorexique, potomane et suicidaire.

Il aurait décidé à la suite d'une violente dispute familiale, à l'âge de dix-sept ans, de "tout" dire à sa mère. Il ne parle alors pas de sodomie mais de fellation.

Il ne parlera de sodomie qu'après son retour d'Uzès -où il avait été pris en charge par des psychothérapeutes.

C'est à la fin de sa première confrontation avec la juge d'instruction , le 28 août 1994, qu'il rajoutera l'accusation de sodomie mutuelle à l'âge de 11 ans.



Selon Oliver Bauer, Antoine Soriano Mor aurait avoué quatre fois :
1. en 1992, devant Juana Ruiz au moment de cette dispute
2. en mars 1992, devant le docteur Cremniter
3. en février 1993, en présence de Juana Ruiz, sa mère, et de Gerhard Bauer, son père.
4. en février 1993, devant Ulisse Gnesda, son ami

La réalité de ces présumés aveux ne résiste nullement à un examen attentif des différents témoignages. En effet :

1er aveu supposé : en 1992, devant Juana Ruiz au moment de cette dispute.

Comment prendre au sérieux une telle affirmation puisque un non-lieu à l'égard de Juana Ruiz est prononcé à l'issue de l'instruction qui l'absout de toute complicité ? A nos yeux, ce non-lieu indique clairement que rien, dans les actes d'A.Soriano à l'égard d'Oliver Bauer, n'a alors été perçu comme sexuellement ambigü ou coupable.
Et si on fait l'hypothèse qu'elle n'a pas voulu croire son fils, il faut en déduire que rien dans le comportement de celui-ci n'indiquait la possibilité de tels événements.
De plus, l'attitude de la mère est étonnante : après avoir entendu ces présumés aveux, elle serait partie dans sa chambre, laissant son fils en tête à tête avec son présumé violeur !

2ème aveu supposé : en mars 1992, devant le docteur Cremniter

Le docteur Cremniter, responsable du service psychiatrique de l'hôpital Henri Mondor à Créteil, affirme sans ambigüité qu'à aucun moment il n'y a eu aveu d'Antoine Soriano en sa présence, et ceci malgré les affirmations d'Oliver Bauer. Il faut noter qu'Oliver et ses avocats ont continué à affirmer qu'Antoine Soriano Mor avait avoué devant ce médecin psychiatre.

3ème aveu supposé : en février 1993, en présence de Juana Ruiz, sa mère, et de Gerhard Bauer, son père.

Le récit de cette rencontre laisse à penser qu'à aucun moment les présents n'accordent un quelconque crédit à ces agressions. L'entrevue est même cordiale. Encore une fois, l'attitude des parents est étonnante. Bien qu'il se déclare avoir été choqué, le père entame une discussion culturelle sur le flamenco, puis se fait raccompagner à la gare par le présumé violeur. D'ailleurs, comment parler d'aveu quand, dans le même temps, G.Bauer déclare : îJe n'ai pas pu savoir la vérité, mais je sais que mon fils ne mentait pas î ?

4ème aveu supposé : en février 1993, devant Ulisse Gnesda, son ami,

Là encore, l'entrevue se termine le plus amicalement du monde.

N'est-il pas étrange que, vu la gravité de tels prétendus aveux, aucun d'entre eux n'ait réagi spontanément avec colère, n'ait rompu les relations ou dénoncé ces faits ?


III. DECLARATIONS ET TEMOIGNAGES

ANTOINE SORIANO MOR

Antoine Soriano Mor n'a rien fait pour se soustraire à la justice pénale.
Antoine Soriano Mor ne s'est jamais contredit. Avec une totale sincérité, il a parlé de faits qu'il aurait parfaitement pu taire. Il reconnaît avoir pris trois ou quatre bains en dix ans de vie commune et reçu ou donné quelques massages réciproques sans caractère sexuel.

ANTOINE SORIANO MOR DIT NE JAMAIS AVOIR AVOUE PARCE QU'IL N'AVAIT RIEN A AVOUER.

De plus, A. Soriano Mor est le premier et le seul protagoniste de cette affaire à avoir fait preuve de compréhension et de sens de la responsabilité, et ceci en prenant contact avec un psychiatre (le Docteur Cremniter) afin d'aider OliverBauer à trouver une solution à son problème.

GERHARD BAUER

Il n'a eu connaissance de cette affaire par son fils que dans le courant de l'année 1993 : jusque là, aucun élément dans l'attitude de son fils, qu'il voyait pendant les vacances, n'avait laissé entrevoir une quelconque perturbation.

Il s'est montré très culpabilisé pendant le procès d'avoir été un père absent puisqu'il abandonne J.Ruiz et leur fils alors que celui-ci à 3 ans

On remarquera que, s' il a cru son fils, son attitude est pour le moins incompréhensible:

il voit souvent son fils pendant les vacances scolaires, et pourtant il ne remarque rien d'anormal chez son fils.
il accepte de dîner en toute convivialité avec le "violeur" de son fils et la mère de son fils, Juana Ruiz.
il ne prévient pas la police et n'y songe à aucun moment. Il ne fera jamais aucune demande judiciaire et, encore moins, ne portera plainte.

JUANA RUIZ

En dix ans de vie commune, elle n'a rien vu.
Pourtant, ne travaillant pas, elle dit qu'elle était toujours présente à la maison. et que l'appartement ne comportait que deux pièces.

Elle ne parle que de 3 ou 4 bains sans caractère sexuel, quand son fils en mentionne "une centaine" avec attouchements.

Elle ne doute de la parole d'Antoine Soriano Mor qu'après leur séparation. et quand son fils refuse de la voir (à partir de 1994).
A partir du moment où elle dit douter d'Antoine Soriano Mor, sa version des faits change constamment.

A l'audience, elle oublie de mentionner les prétendus aveux d'Antoine Soriano Mor. Elle ne le fait qu'après une question du procureur général.

Elle dit croire son fils aujourd'hui alors qu'elle ne le croit pas au moment où il lui en parle.

ULISSE GNESDA

Camarade de classe d'Oliver Bauer, Ulisse Gnesda a vécu avec Oliver Bauer chez ses parents, la famille Gnesda, durant toute la durée de l'instruction.

Il a varié dans ses déclarations :
Il dit à la police, dans son premier témoignage, avoir recueilli des confidences et parle de "jeux pervers".
Ensuite, à l'instruction, puis à l'audience, il prétend qu'Oliver Bauer lui aurait parlé dès le début de masturbations réciproques, de "pipes".
A l'audience, il parle de viol.


NOUS CONSTATONS QUE CES TROIS TEMOINS A CHARGE ONT VARIE DANS LEURS DECLARATIONS .


En dehors même de toute interprétation psychiatrique du récit d'OliverBauer - ce que les psychiatres vont asséner plus tard pendant le procès -, la réalité des faits ne résulte nullement des témoignages en question. Au contraire, les ambiguïtés, les oublis, les contradictions s'accumulent.

OLIVER BAUER

Ce que soulignent psychologues et psychiatres pour affirmer sa crédibilité, c'est qu'il serait très cohérent dans ses déclarations.

Pourtant, il y a des éléments troublants dans celles-ci :

Pourquoi a-t-il refusé de donner le nom de son lycée lors de l'enquête de personnalité ?

Comment ce refus peut-il être intégré dans le tableau clinique dressé par les psychiatres ? Ne s'agit-il pas, soit d'une attitude infantile qui consiste à taire ce qui peut être trouvé sans difficulté, et ceci pour faire obstacle à certaines recherches, soit que ce lycée Molière est associé à des événements qu'il ne veut en aucun cas évoquer ?

Devant le juge d'instruction, il ajoute qu'il a dû lui-même sodomiser Antoine Soriano Mor après avoir été violé par lui à l'âge de 11ans, alors que sa mère était hospitalisée. Il y a là une contradiction : l'hospitalisation a lieu en septembre 1994 et OliverBauer vient d'avoir 10 ans.

A l'âge de 15 ans, et quatre ans après le "viol", alors que jusque là il dit avoir repoussé Antoine Soriano Mor, il l'aurait laissé le masser et le masturber.

Il serait anorexique depuis l'âge de 16 ans (1990) et aurait perdu vingt kilos et aucune personne extérieure n'aurait remarqué un état aussi grave ? Aucun des médecins consultés ? Aucun ami, aucune connaissance de la famille ?

L'instruction n'a pas permis d'établir la réalité de cette anoréxie.

Il prétend qu'Antoine Soriano Mor aurait avoué devant le docteur Cremniter
Le docteur Cremniter affirme le contraire. Faudrait-il douter de la parole du praticien ?

Ne pourrait-on pas aussi envisager les hypothèses suivantes ?

Ne s'agit-il pas d'une construction fantasmatique ?
N'en est-il pas arrivé à se convaincre lui-même ?
Ne s'est-il pas depuis enfermé dans cette affabulation ?


COMME L'A DIT L'AVOCAT GENERAL, NOUS NOUS TROUVONS DANS UNE SITUATION OU " C'EST LA PAROLE DE L'UN CONTRE LA PAROLE DE L'AUTRE " . MAIS NE SERAIT-CE PAS LA MEMOIRE DE L'UN CONTRE LA MEMOIRE DE L'AUTRE ? OR, CELLE D'A.SORIANO EST COHERENTE ET INVARIABLE, ALORS QUE CELLE D'OLIVER BAUER EST, COMME NOUS VENONS DE LE VOIR, INCOHERENTE ET VARIABLE, ET CE EN DEHORS DE TOUT PREJUGE AFFECTIF. D'AILLEURS, LA MEMOIRE N'EST-ELLE PAS UNE FACULTE IMPRESSIONNABLE, SELECTIVE ET INVENTIVE ?

" Si les souvenirs anodins de jeunes années sont a ce point malléables, comment ne pas admettre que les traumatismes oublies, exhumes dans la douleur d'une thérapie, doivent a fortiori être considérés avec la plus grande prudence. Comme l'écrit Elizabeth Loftus en introduction de son livre, 'ceci n'est pas un débat sur la réalité ou les horreurs des abus sexuels, de l'inceste ou de la violence sur les enfants. C'est un débat sur la mémoire' " (Catherine Vincent - Le Monde du 10/10/97-, au sujet du livre de E.Loftus et K.Ketcham Le syndrome des faux souvenirs et le mythe des souvenirs refoulés. )

PSYCHIATRES ET PSYCHOLOGUES
Le rôle des psychologues et des psychiatres a été prépondérant dans cette affaire.

LES THERAPEUTES D'OLIVER BAUER
Madame Adda, psychologue, et Monsieur Aiguesvives, praticien hospitalier, suivent Oliver Bauer à Nîmes à partir du 1er mars 1993, jusqu'au moment où il revient à Paris.
Madame Adda se qualifie comme la "dépositaire de la souffrance d' OliverBauer, dès leur premier entretien ".
Monsieur Aiguesvives reconnaît à la barre avoir préparé OliverBauer aux auditions du juge d'instruction.

Le docteur Sabourin, qui accueille le plaignant dans son service sur recommandation des praticiens nîmois, est le coauteur du livre La violence impensable. Il représente un courant psychiatrique qui prétend que la majorité des problèmes sociaux ( prostitution, homosexualité précoce, échec scolaire, etc) dérivent d'actes sexuels incestueux lors de l'enfance.

Dans cette théorie, toute plainte d'un enfant ou d'un adolescent à ce sujet doit être considérée comme véridique et faire preuve devant les tribunaux. Sa définition de l'acte sexuel traumatique est très large et va du viol à l'utilisation rectale du thermomètre.

Ce même docteur déclarera à la cour avoir accompagné Oliver Bauer (durant l'instruction) à une émission télévisée ( Bas les masques de Mireille Dumas ) sur les abus sexuels subis par l'enfance maltraitée : il fait ainsi d'A. Soriano un coupable, avant même le procès et le jugement.

Il est à noter l'influence évidente de ce livre du docteur Sabourin sur les déclarations d'Oliver Bauer.
Tous les trois sont témoins d'Oliver Bauer devant la Cour d'assises et leurs déclarations sur les dires d'Oliver Bauer sont entendues comme des preuves de la culpabilité d'Antoine Soriano Mor.

TOUS LES TROIS DECLARENT QUE LA GUERISON D'OLIVER BAUER PASSE PAR LA CONDAMNATION PENALE D'ANTOINE SORIANO MOR

Une fois de plus, le tableau clinique construit par ces psychiatres repose sur le récit d'OliverBauer et ,en particulier, sur les éléments symptomatiques tels que potomanie, anorexie qui seront repris par chacun d'eux. ET IL N'Y A AUCUNE PREUVE DE L'EXISTENCE DE CES SYMPTOMES QUI, POURTANT, SONT SUFFISAMMENT SPECTACULAIRES POUR NE PAS POUVOIR ETRE ETABLIS.

Tout se passe comme si ces experts, retrouvant dans le récit d'OliverBauer tous les éléments prévus par leur théorie psychiatrico-judiciaire sur l'agression sexuelle sur mineur, ne pouvaient que conclure à sa crédibilité et donc à la culpabilité d'A.Soriano. Ce tour de passe-passe a malheureusement pesé si fort que le jury l'a pris pour argent comptant.


IV. LES EXPERTS NOMMES PAR LA COUR

L'ENQUETE DE PERSONNALITE

Dans cette enquête, Antoine Soriano Mor apparaît comme une personne équilibrée, réfléchie, stable, constante, fidèle en amour et en amitié sans être exclusive, responsable et performante dans son travail. L'enquête a été effectuée auprès de huit personnes dont la plupart connaissent Antoine Soriano Mor depuis l'enfance.
Oliver Bauer est dépeint dans une première période allant de neuf à quinze ans, comme un enfant gentil, équilibré mais dominateur et exclusif. A partir de quinze ans, il est décrit par certains comme agressif et violent, par d'autres comme faible et incapable de se défendre physiquement; selon sa mère,il se serait alimenté bizarrement et , selon son père et les parents de son ami U.Gnesda, il se serait montré de plus en plus perturbé. Il est intelligent, entier et sûr de lui; non seulement, il n'est pas influençable, mais il est très difficile de le faire changer d'avis. L'enquête a été faite auprès de huit personnes qui, en dehors de son père et de sa mère, le connaissent depuis l'âge de seize ans. L'enquête n'a pas été menée sur la période antérieure à neuf ans, elle n'a pas été menée non plus à Uzès où il passait ses vacances chez son père, ni en milieu scolaire. De plus, Oliver Bauer ayant refusé de donner les coordonnées de son lycée et ses parents disant ne plus s'en souvenir, l'enquêtrice n'a pu effectuer l'enquête qui aurait pu montrer la présence ou non d'une anorexie.Enfin, le procès n'a pas permis de lever le doute.

LES EXPERTS PSYCHIATRES COMMIS PAR LA JUGE D'INSTRUCTION

Un expert et un contre-expert psychiatres ont reçu la mission de mesurer la crédibilité d'Oliver Bauer et l'accession à la sanction pénale d'Antoine Soriano Mor. Rien de plus. A aucun moment n'est posée la question de la crédibilité d'Antoine Soriano Mor.
L'examen d'Antoine Soriano Mor intervient dans les deux cas après celui d'Oliver Bauer. L'expertise et la contre-expertise se sont conclues en une séance chacune.
Conformément à la mission qui leur était demandée par la juge d'instruction, il apparaît dans le rapport qu'ils présentent à la cour :
Qu'Oliver Bauer est crédible et dans un état psychique nécessitant un suivi psychologique
Qu'Antoine Soriano Mor ne présente aucune anomalie neuro-psychiatrique, et que, dans le cas où il serait coupable, il serait accessible à la sanction pénale.
Les deux experts disent qu'Antoine Soriano Mor n'est pas pédophile, donc non susceptible de récidive.

Des rapports des deux experts aux assises, il ressort curieusement :

Oliver Bauer est crédible car il n'a pas varié dans ses affirmations, ce qui laisse rêveur (cf. p. 8)

On ne peut affirmer qu'Antoine Soriano Mor est coupable mais s'il l'était, puisqu'il nie les accusations, "ce serait un grand pervers", bien que les deux experts n'aient remarqué, chez lui aucune perversion.

UN DISCOURS CREDIBLE NE RELATE PAS NECESSAIREMENT L'EXPRESSION DE LA VERITE.
LA PSYCHIATRIE N'EST PAS UNE SCIENCE EXACTE.
LA JUSTICE PENALE NE PEUT CONDAMNER QUE SUR LA BASE DE PREUVES, D'ELEMENTS CONCRETS, DEMONTRANT LA CULPABILITE.
JUSTICE ET PSYCHIATRIE ONT CHACUNE LEUR FONCTION.
LA PYCHIATRIE NE PEUT DEMANDER A LA JUSTICE D'INTERVENIR DANS LA GUERISON DU MALADE.
LA JUSTICE NE PEUT DEMANDER A LA PSYCHIATRIE DE FOURNIR LES PREUVES DEMONTRANT LA CULPABILITE OU L'INNOCENCE D'UN ACCUSE.

V. L'INSTRUCTION

L'instruction n'a pas permis d'établir un certain nombre de faits, notamment sur:
L'enfance d'Oliver Bauer avant l'âge de 9 ans. Ses parents se sont séparés quand il avait trois ans; de trois à neuf ans, Oliver Bauer vit avec sa mère. A-t-il eu à cette période des problèmes ? Lesquels ? (rapports avec son père, école, amis, etc.). Quel milieu familial est le sien et quelles peuvent-être les conséquences d'une relation forte et exclusive avec sa mère ? Ces seules questions démontrent toute l'importance de cette période pour essayer d'approcher la maturation psychologique, affective de l'enfant et futur accusateur.

Sa scolarité, sa vie au lycée Molière (Oliver Bauer a refusé de dire à Madame Gaillard qui effectuait l'enquête de personnalité à la demande du juge d'instruction à quel lycée il était allé). L'instruction n'a pas permis de corroborer l'existence des symptômes avancés par Oliver Bauer (son anorexie en particulier). Voilà un fait qui ne pouvait pas ne pas figurer dans les observations de quelque professeur.

Ces éléments étaient pourtant essentiels.

SENTENCE

Antoine Soriano Mor a été condamné à dix ans de prison ferme et à 160 000 francs de dommages et intérêts Il s'est pourvu en cassation pour obtenir le droit à un nouveau procès qui permette d'établir la vérité.

CONCLUSIONS

Le déroulement de cette affaire amène à se poser une question : l'instruction a-t-elle pu être menée à charge et à décharge ? De plus, le procès en assises s'est déroulé dans un contexte médiatique préjudiciable à l'accusé (multiples affaires de pédophilie).
Le rôle de psychiatres appartenant à un courant minoritaire et discuté a été prépondérant
En absence de toutes preuves, la présomption d'innocence n'a pas joué et le doute n'a pas bénéficié à l'accusé.

Finalement, où sont les preuves de la culpabilité d'Antoine Soriano Mor ?



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