L'Association pour la Formation à la Protection de l'Enfance a proposé un
colloque intitulé "L'embrouille : décoder et démonter les sytèmes organisés des
agresseurs, afin de mieux protéger les enfants", qui s'est tenu du 14 au 17
mars, à l'Espace Voltaire à Paris. Il nous a paru indispensable, à partir du
cas d'Antoine Soriano, de manifester une fois de plus que la lutte pour la
protection de l'enfance ne justifie en aucune façon l'abandon d'une pratique
judiciaire sensée et équitable, ni l'audience disproportionnée que trouvent
certains discours psychiatricojudiciaires pour lesquels la parole de l'enfant
ou de l'adolescent qui accuse est forcément crédible. Quelques membres de
ALAS ont donc distribué la feuille reproduite ci-dessous au cours de l'
après-midi du premier jour de cet acte. Celle-ci a été reçue avec intérêt ou , au moins,
avec curiosité. Seul un petit groupe de personnes y a vu
une nouvelle attaque contre M. Sabourin. Et parmi elles, M. Sabourin lui-même.
L'embrouille et l'erreur judiciaire : un anniversaire
ALAS, Association pour la Libération d'Antoine Soriano, a choisi d'intervenir
symboliquement dans le déroulement de ce colloque pour rappeler à l'ensemble
des participants que la lutte, ô combien légitime et nécessaire, pour
la protection de l'enfance, n'est pas pour autant à l'abri d'un danger
redoutable et inacceptable, dont nous savons maintenant qu'il est bien réel,
un danger qui se formule simplement ainsi : la condamnation d'un innocent.
Avant toute chose, il serait vain de considérer notre intervention comme la
manifestation d'un des " systèmes organisés des agresseurs ", qu'il s'agirait
de " décoder et démonter ". Nous nous élevons contre tout amalgame aussi
facile que pernicieux qui consisterait à nous considérer comme une association
de défense de la " pédophilie ", ce dernier terme étant entendu comme
" agression sexuelle sur mineur ". Les membres de cette association estiment
que ce type de délit, lorsqu'il est avéré, doit être jugé avec rigueur.
Avéré ? ALAS est née dans la nuit du 18 mars 1998, il y a maintenant 2 ans. Pour
tous ceux, amis et connaissances d'Antoine Soriano, qui avaient suivi son procès
et entendu le verdict qui le condamnait, rien n'était aussi peu avéré que sa
culpabilité. La création d'une telle association répondait à une évidence
cruellement ressentie : la nécessité de s'organiser très vite et de se battre
par tous les moyens pour qu'un innocent brutalement condamné soit rétabli
auprès de la société et de la justice dans sa dignité et dans son droit.
Quel procès ? Le 18 mars 1998, Antoine Soriano Mor, libraire-éditeur, a été
condamné par le Jury de la Cour d'Assises de Paris à dix ans de prison ferme
pour " viol sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité - agressions
sexuelles ". Accusé par le fils (aujourd'hui âgé de 26 ans) de son ancienne
compagne, enfant dont il s'est occupé pendant 10 ans, Antoine Soriano Mor a
toujours clamé son innocence.
Dans cette affaire l'absence de preuves de la matérialité des faits allégués
fut si avérée que, dans son réquisitoire, l'avocat général résuma ainsi le
contenu des débats - qui durèrent un jour et demi seulement - "c'est la parole
de l'un contre la parole de l'autre". L'une accusait, l'autre, toujours, nia.
Et c'est là que l'intervention de certains psychiatres fut déterminante.
Pendant plus de la moitié de ce procès, des psychologue et psychiatres
(Mme Adda, MM Aiguesvives et Sabourin), témoins de la partie civile, vinrent
affirmer que le discours de l'accusateur était absolument crédible.
L'instruction avait refusé de suivre les quelques pistes qui auraient pu établir
ou infirmer la réalité de certains symptômes décrits par la "victime".
Le témoignage de ces spécialistes se substitua à ces investigations et devint
concrètement la preuve de la véracité des allégations de l'accusation.
Il n'est pas difficile d'imaginer l'effet produit sur les jurés par ces
affirmations d'experts, surtout que l'un d'eux, M. P. Sabourin, s'était
montré quelque temps auparavant à la télévision - et en avait d'ailleurs
profité pour présenter le cas qui nous occupe - dans une émission consacrée
aux abus sexuels sur mineurs. Pour ne pas être en reste, M. Aiguesvives
présenta ce même cas au cours d'une autre émission télévisée alors que la
décision concernant le pourvoi en cassation n'était pas encore intervenue.
Décodage ? Antoine Soriano fut reconnu non pédophile par la Cour. Par contre,
les spécialistes se posèrent le problème de savoir si on n'avait pas affaire
à un " grand pervers " puisque celui-ci s'obstinait à nier ! Encore un morceau
de bravoure de l'expertise psychiatrique judiciaire qui, hélas, contribuait
à condamner lourdement un innocent !
Nous n'insisterons pas outre mesure sur un aspect judiciaire crucial, dont il
est souvent question ces temps-ci, brutalement mis à mal dans ce cas : le non
respect de la présomption d'innocence. Il nous importe davantage de dénoncer
un grave danger, trop fréquent à l'heure actuelle, qui peut mener des innocents
en prison, et Antoine Soriano est l'un d'eux : il s'agit de la " dérive
psychiatrique " de la justice qui, parce que certains spécialistes l'affirment,
tient la parole de l'enfant qui accuse pour nécessairement véridique et, en
conséquence, fait de l'accusé un coupable et se substitue à une pratique
judiciaire sereine et équilibrée. S'il faut, bien entendu, protéger l'enfance,
ça ne peut pas être à n'importe quel prix.
ALAS a établi un dossier critique de l'affaire Antoine Soriano disponible sur
demande et sur Internet (*). Néanmoins, et à titre d'exemple de la légèreté avec
laquelle fut traité ce cas, nous reproduisons ci-dessous la lettre adressée par
le Docteur D. Cremniter, responsable du service psychiatrique de l'Hôpital Mondor
de Créteil, à l'épouse d'Antoine Soriano, peu après le procès de son mari.
L'épisode auquel fait référence cette lettre est le suivant.. Lorsque
l'adolescent l'accusa d'attouchements sexuels, Antoine Soriano jugea que cette
grave situation requérait les compétences d'un psychiatre. A cet effet, et
après avoir convaincu l'accusateur de la nécessité d'une telle consultation,
il sollicita le Dr Cremniter qui les reçut ensemble. Plus tard, au cours de
l'instruction, l'adolescent, alors majeur, soutint devant le juge d'instruction
" qu'il s'était rendu chez un psychologue alors qu'il avait 17 ans,
en compagnie d'Antoine Soriano, devant lequel ce dernier avait une nouvelle
fois reconnu les faits ". Appelé à témoigner, le Dr Cremniter ne put
s'exécuter. La lettre qu'il adressa à la cour pour excuser son absence,
proche en substance de celle-ci, fut lue en début de procès et oubliée.
Le 1/4/1998
Hôpital Henri Mondor
51, Av. du Mal. De Lattre de Tassigny
94010 CRETEIL cedex
Service de Psychiatrie . Responsable : Dr. D. Cremniter
Madame,
Je tenais à vous faire part de ma stupéfaction, suite au verdict et à la
condamnation de votre mari. En effet, comme je l'avais exposé au juge d'instruction,
lorsque j'avais reçu Mr Soriano à l'occasion du conseil psychologique qu'il
souhaitait obtenir face aux accusations proférées par le fils de sa compagne
d'alors, il m'était apparu comme une personne équilibrée, bien qu'affecté par
les dires de l'adolescent. Il se conduisait en homme de grande valeur, de grande
largesse d'esprit, montrant une attitude de compréhension, de recherche de
solution face à la situation où, malgré cette terrible mise en cause de sa
position par rapport au jeune, il gardait une attitude digne et responsable.
Je tiens à vous souligner qu'en aucun cas, je n'ai perçu les indices chez lui
d'une attitude fausse ou suspecte, ni a fortiori les caractéristiques d'un
pervers, violeur d'enfants.
En aucun cas il n'a confirmé les dires du jeune. Celui-ci a probablement dû
interpréter l'absence de réaction de votre mari face aux dires du jeune comme
une approbation de ses accusations alors que je suis formellement convaincu du
contraire : c'est par respect de la parole du jeune, par sa volonté de
compréhension profonde et sincère ( dont attestait la démarche ayant consisté
à venir me voir ) que M. Soriano s'était en quelque sorte laissé accuser par le
jeune sans le contredire. En aucun cas il ne s'agissait d'une approbation.
Je vous prie de croire, Madame, à l'expression de ma sincère considération.
(*) ALAS 23, rue Morard 75014 Paris. Fax. 0145358302 http ://www.chez.com/alas
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